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sur notre volonté et sur notre conduite comme peuvent le faire des théories, c'est-à-dire des idées: nous sommes ici sur le plan intellectuel, et, comme on l'a vu plus haut, ni l'obligation ni ce qui la prolonge ne saurait dériver de l'idée pure, celle-ci n'agissant sur notre volonté que dans la mesure où il nous plaît de l'accepter et de la mettre en pratique. Que si l'on distingue cette méta- physique de toutes les autres en disant que précisément elle s'impose à notre adhésion, on a peut-être encore raison, mais alors ce n'est plus à son seul contenu, à la pure représentation intellectuelle que l'on pense ; on introduit quelque chose de différent, qui soutient la représentation, qui lui communique je ne sais quelle efficace, et qui est l'élément spécifiquement religieux: mais c'est maintenant cet élément, et non pas la métaphysique à laquelle il est joint, qui devient le fondement religieux de la morale. Nous avons bien affaire à la seconde méthode, mais c'est de l'expérience mystique qu'il s'agit. Nous vou- lons parler de l'expérience mystique envisagée dans ce qu'elle a d'immédiat, en dehors de toute interprétation. Les vrais mystiques s'ouvrent simplement au flot qui les envahit. Sûrs d'eux-mêmes, parce qu'ils sentent en eux quelque chose de meilleur qu'eux, ils se révèlent grands hommes d'action, à la surprise de ceux pour qui le mysticisme n'est que vision, transport, extase. Ce qu'ils ont laissé couler à l'intérieur d'eux-mêmes, c'est un flux descendant qui voudrait, à travers eux, gagner les autres hommes : le besoin de répandre autour d'eux ce qu'ils ont reçu, ils le ressentent comme un élan d'amour. Amour auquel chacun d'eux imprime la marque de sa personnalité. Amour qui est alors en chacun d'eux une émotion toute neuve, capable de transposer la vie humaine dans un autre ton. Amour qui fait que chacun d'eux est aimé ainsi pour lui-même, et que par lui, pour lui, d'autres hommes laisseront leur âme s'ouvrir à l'amour de l'humanité. Amour qui pourra aussi bien se transmettre par l'intermédiaire d'une personne qui se sera attachée à eux ou à leur souvenir resté vivant, et qui aura conformé sa vie à ce modèle. Allons plus loin. Si la parole d'un grand mystique, ou de quelqu'un de ses imitateurs, trouve un écho chez tel ou tel d'entre nous, n'est-ce pas qu'il peut y avoir en nous un mystique qui sommeille et qui attend seulement une occasion de se réveiller ? Dans le premier cas, la personne s'attache à l'impersonnel et vise à s'y insérer. Ici, elle répond à l'appel d'une personnalité, qui peut être celle d'un révélateur de la vie morale, ou celle d'un de ses imitateurs, ou même, dans certaines circons- tances, la sienne. Qu'on pratique d'ailleurs l'une ou l'autre méthode, dans les deux cas on aura tenu compte du fond de la nature humaine, prise statiquement en elle- même ou dynamiquement dans ses origines. L'erreur serait de croire que pression et aspiration morales trouvent leur explication définitive dans la vie sociale considérée comme un simple fait. On se plaît à dire que la société existe, que dès lors elle exerce nécessairement sur ses membres une con- trainte, et que cette contrainte est l'obligation. Mais d'abord, pour que la société existe, il faut que l'individu apporte tout un ensemble de dispositions innées ; la société ne s'explique donc pas elle-même ; on doit par conséquent chercher au-dessous des acquisitions sociales, arriver à la vie, dont les sociétés humaines ne sont, comme l'espèce humaine d'ailleurs, que des manifestations. Mais ce n'est pas assez dire : il faudra creuser plus profon- dément encore si l'on veut comprendre, non plus seulement comment la société oblige les individus, mais encore comment l'individu peut juger la Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion (1932) 54 société et obtenir d'elle une transformation morale. Si la société se suffit à elle-même, elle est l'autorité suprême. Mais si elle n'est qu'une des déter- minations de la vie, on conçoit que la vie, qui a dû déposer l'espèce humaine en tel ou tel point de son évolution, communique une impulsion nouvelle à des individualités privilégiées qui se seront retrempées en elle pour aider la société à aller plus loin. Il est vrai qu'il aura fallu pousser jusqu'au principe même de la vie. Tout est obscur, si l'on s'en tient à de simples manifestations, qu'on les appelle toutes ensemble sociales ou que l'on considère plus particu- lièrement, dans l'homme social, l'intelligence. Tout s'éclaire au contraire, si l'on va chercher, par-delà ces manifestations, la vie elle-même. Donnons donc au mot biologie le sens très compréhensif qu'il devrait avoir, qu'il prendra peut-être un jour, et disons pour conclure que toute morale, pression ou aspiration, est d'essence biologique. Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion (1932) 55 Chapitre II La religion statique Retour à la table des matières Le spectacle de ce que furent les religions, et de ce que certaines sont encore, est bien humiliant pour l'intelligence humaine. Quel tissu d'aberra- tions ! L'expérience a beau dire « c'est faux » et le raisonnement « c'est absur- de », l'humanité ne s'en cramponne que davantage à l'absurdité et à l'erreur. Encore si elle s'en tenait là ! Mais on a vu la religion prescrire l'immoralité, imposer des crimes. Plus elle est grossière, plus elle tient matériellement de place dans la vie d'un peuple. Ce qu'elle devra partager plus tard avec la science, l'art, la philosophie, elle le demande et l'obtient d'abord pour elle seule. Il y a là de quoi surprendre, quand on a commencé par définir l'homme un être intelligent. Notre étonnement grandit, quand nous voyons que la superstition la plus basse a été pendant si longtemps un fait universel. Elle subsiste d'ailleurs encore. On trouve dans le passé, on trouverait même aujourd'hui des sociétés humaines qui n'ont ni science, ni art, ni philosophie. Mais il n'y a jamais eu de société sans religion. Quelle ne devrait pas être notre confusion, maintenant, si nous nous com- parions à l'animal sur ce point ! Très probablement l'animal ignore la supers- Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion (1932) 56 tition. Nous ne savons guère ce qui se passe dans des consciences autres que la nôtre ; mais comme les états religieux se traduisent d'ordinaire par des attitudes et par des actes, nous serions bien avertis par quelque signe si l'animal était capable de religiosité. Force nous est donc d'en prendre notre parti. L'homo sapiens, seul être doué de raison, est le seul aussi qui puisse suspendre son existence à des choses déraisonnables. On parle bien d'une « mentalité primitive » qui serait aujourd'hui celle des races inférieures, qui aurait jadis été celle de l'humanité en général, et sur le compte de laquelle il faudrait mettre la superstition. Si l'on se borne ainsi à grouper certaines manières de penser sous une dénomination commune et à relever certains rapports entre elles, on fait Suvre utile et inattaquable : utile, en ce que l'on circonscrit un champ d'études ethnologiques et psychologiques qui est du plus haut intérêt ; inattaquable, puisque l'on ne fait que constater l'existence de certaines croyances et de certaines pratiques dans une humanité moins civilisée que la nôtre. Là semble d'ailleurs s'en être tenu M. Lévy-Bruhl [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ] |
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